Edouard Athénosy : Une vie
«Une plongée dans le paysage» Les Angles, France
Huile sur carton - 9 x 18 cm / 1915
Edouard Athénosy sort de l’ombre, porté par la ferveur d’un artiste plasticien qui le présenta en deux expositions muséales, et une conférence à l’Académie du Vaucluse en 2020. Il l’avait découvert grâce à un tableautin, présent de longues années dans la bibliothèque du poète français René Char, paysage dans lequel le regard se perd sans que l’horizon ne soit jamais atteint.
Né dans le sud de la France à Saumane de Vaucluse en 1859, mort à Avignon en 1934, les soixante quinze années de l’existence d’Athénosy couvrent l’une des périodes les plus bouleversées de l’histoire française, du second Empire à la 3ème République, depuis la guerre de 1870 à la guerre de 14/18. Ces bouleversements politiques s’accompagneront d’une révolution artistique, qu’il s’agisse de peinture : Cézanne ou Van Gogh ; de musique : Mahler et Richard Strauss ; ou de littérature : Verlaine, Rimbaud..
Nous sommes en Provence. L’enfance d’Athénosy, à Saumane de Vaucluse, fut marquée par la beauté du paysage environnant qu’il recherchera et peindra durant toute une vie. Son père lui imposera à son exemple une carrière dans la fonction publique, mais le laissera s’inscrire à l’école des Beaux-arts d’Avignon dont il sera à sa sortie en 1882 le plus brillant sujet. Alors que son maître Pierre Grivolas, directeur des Beaux-arts, entraînait ses élèves dans le sillon impressionniste, Athénosy, fidèle admirateur de Corot, Pierre de Valenciennes ou Félix Vallotton, gardera ses distances et son indépendance. Sa vie fut double: directeur de cabinet du préfet du Vaucluse, son existence échappait aux angoisses matérielles que connurent Monet ou Pissaro. La possibilité d’une recherche libre, d’une œuvre désintéressée et toute personnelle sera la revanche de son dilemme. De 1867 à 1871, Mallarmé, poète français, vivra en Avignon le même écartèlement, entre son métier si mal assumé de professeur d’Anglais et sa vocation de poète.
La découverte essentielle des outils et des photographies d’Athénosy, cachés cent ans durant dans le double fond du tiroir d’une commode de sa maison des Angles, nous permet de comprendre quelle était sa pratique. Palettes, pinceaux, tubes de couleurs, supports de peinture, s’accordent avec un travail en plein air, et le plus souvent d’un format réduit et constant, qui ne dépassera guère le 18 par 24 centimètres. Chapeau de feutre en tête, en complet trois pièces noir, sa boîte de peinture à la ceinture, celle de rangement des tableautins attachée à un autre passant, Athénosy partait peindre sur le motif avec sa canne tabouret.
Nous savons qu’il préparait son matériel au printemps, peu avant la floraison des genets - ce qui lui valut son surnom réducteur de « peintre des genets » -, et qu’il se rendait sur le motif jusqu’à l’automne autour de sa maison des Angles, attentif au détail et aux variations de la lumière et de la couleur, son obsession. Le paysage peint devient alors à partir de 1911, l’objet transitionnel dont Athénosy aurait besoin pour regarder la vie.
De l’impressionnisme, Athénosy ne gardera que le silence des paysages. Ceux-ci ne sont que rarement animés, et lorsqu’un personnage apparaît, son humanité n’est guère évidente, il est traité à distance, comme le serait une tige souple ou une branche d’arbre. Le paysage abstrait n’est pas loin, l’idée du monochrome non plus lorsqu’on se perd dans ses ciels, ou dans la contemplation de ce coucher de soleil à Marseille, sujet d’un magnifique tableau d’Athénosy. Une manière différente de regarder et de voir s’impose chez ce maître, comme si la nature avait quelque chose d’essentiel à apprendre, et que peindre un paysage relevait d’une quête spirituelle, et en fin d’exercice d’une ascèse. L’expérience avait été et sera celle des maîtres de l’art qui cultiveront « cet invisible essentiel », parce que « La forme est la révélation de l’Essence », lorsqu’on a « nettoy[é] les portes de la perception ».
Athénosy ne voyagea pas. Son exploration fut celle de l’intime, de la profondeur. L’ambition était périlleuse et douloureuse. « Solitude », est-il écrit au revers de l’un de ses tableautins. Avoir privilégié à cette époque bourgeoise de si petits formats, c’était avoir conscience de renoncer à la reconnaissance et à la renommée. Une personnalité si atypique dut être contraignante et ses exigences difficiles à partager. Ses renoncements ont sans doute expliqué l’indifférence de sa descendance. Il ne serait pas le premier peintre dans ce cas, mais ces chutes dans l’obscur rendent l’œuvre d’autant plus lumineuse, lorsqu’un regard passionné la rend à la vie.